Après la Seconde Guerre mondiale qui mettait fin à la dictature nazie, le gouvernement militaire français entendait pratiquer une politique de reconstruction lui permettant de dénazifier la population sarroise et de la rattacher plus étroitement à la France. Dans le cadre du mouvement «Ceux de la Résistance», Gilbert Grandval (1904-1981) - en lutte depuis 1941 contre l’occupation allemande de la France - avait fait la connaissance de l’architecte Jean Prouvé qui l’initia à l’architecture moderne. En 1945 Grandval se fit assister par Prouvé pour le choix des architectes et urbanistes devant rejoindre la «Section Urbanisme et Reconstruction» instaurée par le gouvernement militaire. L’équipe qui prit officiellement ses fonctions en octobre 1945 était composée des architectes suivants: Pierre Lefèvre, Édouard Menkès (1903-1976), Jean Mougenot, Georges-Henri Pingusson (1894-1978), Marcel Roux et André Sive (1899-1958). En plus des architectes, qui afin de s’intégrer pleinement au sein des services de gestion de l’occupant français reçurent des grades militaires et portèrent l’uniforme, cette équipe comprenait également des civils dont la présence en Sarre ne fut que temporaire. Parmi ceux-ci citons: Jean Prouvé (1901-1984) qui en collaboration à Édouard Menkès et Jean Mougenot conçut des bâtiments en métal et s’interrogea sur les conditions et modalités d’une production standardisée de ce type de construction afin d’enrayer la pénurie de logements, ainsi que René Herbst (1891-1982) et Gabriel Guévrékian (1900-1970) qui furent enseignants au Centre des Métiers d’Art nouvellement fondé et proposant un cursus d’architecture s’étendant sur cinq ans.
En tant qu’adeptes du fonctionnalisme, ces architectes, urbanistes et artisans d’art incarnaient le «Mouvement moderne» prôné par le Corbusier dans l’entre-deux-guerres. Tous étaient membres de l’«Union des Artistes Modernes» (UAM) et avaient participé aux «Congrès internationaux d’architectes modernes» (CIAM).
Sous le gouvernement militaire de la Sarre, la «Section Urbanisme et Reconstruction» était dirigée par Marcel Roux qui avait pris comme assistant André Sive. En commun ils devaient élaborer un plan régional de reconstruction et d’urbanisme. Les travaux plus spécialisés concernant les divers districts étaient répartis entre les autres architectes. C’est ainsi que Georges-Henri Pingusson reçut l’ordre de réorganiser et de reconstruire la capitale du «Land», Sarrebruck, complètement dévastée par les bombes. Édouard Menkès conçut un plan de reconstruction pour la ville également bombardée de Sarrelouis dont le réaménagement tenait aux Français particulièrement à cœur, vu que la ville avait été fondée comme place forte sous le règne de Louis XIV. Quant aux autres districts d’Ottweiler, de St. Wendel, d’Hombourg, de St. Ingbert, de Merzig et de Sarrebourg appartenant aujourd’hui à la Rhénanie-Palatinat, ils furent pris en charge par Pierre Lefèvre qui concentra ses efforts sur le plan de reconstruction de la ville industrielle de Neunkirchen.
En 1947, l’ «Équipe des Urbanistes de la Sarre» publia une brochure dans laquelle étaient explicités les plans de reconstruction de la région. Ceux-ci reposaient sur les normes codifiant l’urbanisme moderne en France. La version française de la brochure fut tirée en 1200 exemplaires. Quant à la version allemande, outre certaines erreurs de traduction, elle a été raccourcie de quelques chapitres.
Dans sa préface le gouverneur militaire Grandval mentionne de façon programmatique: «Le 10 Juillet 1945, la France revenait en Sarre. Cette contrée que nous avions dû quitter à la suite du plébiscite de Janvier 1935 et qui était alors extraordinairement prospère, offrait à nos yeux un spectacle de désolation propre à décourager les plus forts… Parmi les tâches innombrables, la reconstruction apparût immédiatement comme une des plus ardues; main-d’œuvre, matériels de toute sorte, matériaux de construction, tout, faisait défaut, et il fallait cependant dans les moindres délais procéder aux déblaiements essentiels, donner avant l’hiver aux habitants réfugiés dans les caves la possibilité de trouver un refuge, et assurer le logement de la population ouvrière indispensable à la reprise d’une activité économique conditionnant en grande partie la production du charbon… La France a en Sarre des desseins à la taille de sa tradition. Elle veut dans ce pays effacer les traces qui, malgré les bombardements, subsistent de l’esprit prussien; elle veut que le génie de l’urbaniste consacre pour toujours les liens qui unissent la Sarre à la France… Pendant un an et demi des architectes-urbanistes français en même temps qu’ils assumaient les tâches essentielles imposées par les déblaiements, les mises hors d’eau et la reprise industrielle, ont travaillé sans relâche à l’élaboration des projets de reconstruction et d’urbanisme…Roux, Pingusson, Sive, Menkès, Lefèvre, expliquez-nous ce que vous avait fait, ce que vous comptez faire dans la plus pure tradition du génie créateur et réalisateur français».
L’ouvrage «Urbanisme en Sarre» débute par les analyses des conditions géographiques et des ressources minières de la Sarre, du climat et des dévastations causées par la guerre, de la démographie, de la main-d’œuvre et de la production, des sources d’énergie et de l’assainissement, de l’éducation, des beaux-arts et de la culture, des établissements hospitaliers, des cultes et de la circulation. À ces analyses s’ensuit la partie principale offrant les plans de reconstruction des villes de Sarrebruck, Sarrelouis et Neunkirchen. La présentation des divers projets est précédée par une étude approfondie des données locales. Les différents plans sont décrits dans des textes illustrés par des dessins et par des photos de maquettes. En conclusion, les urbanistes présentent les réalisations encore partielles de certains projets et soulèvent les problèmes concernant la main-d’œuvre, les matériaux, les besoins financiers ainsi que la répartition des biens fonciers.
La même année après l’élection du gouvernement, l’administration de la Sarre n`incomba plus aux autorités françaises, ce qui entraîna la dissolution de la «Section Urbanisme et Reconstruction». Cette dernière fut remplacée en 1948 par le «Saarländisches Wiederaufbauamt» (Service de Reconstruction de la Sarre).
Les plans proposés par les urbanistes français n’ont fait l’objet que partiellement de réalisation concrète. Certaines idées ont été reprises et développées par des architectes privés ou bien par le Service de Reconstruction du gouvernement sarrois, d’autres ont été modifiées ou rejetées.
Prenons comme exemple la zone d’habitation «Bruchwiesen» à Sarrebruck. Le plan urbanistique élaboré par Geoges-Henri Pingusson pour la capitale du «Land» de Sarre comprenait trois nouvelles zones: L’ «Hafeninsel», les quartiers dévastés du Vieux-Sarrebruck et la «Bruchwiesen», située en deça du cimetière Saint-Jean. Les deux premiers bâtiments élevés dans la «Bruchwiesen» s’alignaient exactement sur le plan de Pingussson qui prévoyait la construction d’immeubles à cinq niveaux orientés vers le sud. Selon le croquis exécuté par l’architecte Marcel Roux, il était prévu de construire 40 appartements réservés aux enseignants de l’université de la Sarre nouvellement fondée. Situés Hellwigstraße 17-19 et Bayernstraße 12-14 ces bâtiments ont entre-temps fait l’objet de modifications sur leur face sud. Au cours des années 50, le gouvernement sarrois décida d’agrandir la «Bruchwiesen». Mais alors que pour la construction des nouveaux immeubles dans la Bayernstraße on s’appuya sur les plans urbanistiques de Georges-Henri Pingusson, pour celle des immeubles dans la Bayernstraße, on s’en écarta et érigea des buildings parallèles à la rue.
Non loin du quartier de la «Bruchwiesen», l’équipe d’urbanistes réalisa un autre projet. Dans la «Halbergstraße» Pierre Lefèvre érigea le «Lycée Maréchal Ney» aujourd’hui «Lycée Franco-Allemand». En analogie aux immeubles de Marcel Roux, ce bâtiment était orienté vers le sud. Ceci imposait que l’entrée et les pièces de fonctions aux fenêtres étroites soient situées au nord et que les principaux espaces éclairés par de vastes baies le soient au sud. Un autre point commun figurait dans les motifs en relief horizontaux et verticaux qui structuraient les façades pour le reste très sobres.
Parmi les autres projets réalisés par les architectes et urbanistes français, il convient de mentionner la transformation par Pierre Lefèvre en 1947 du siège de la «Casino-Gesellschaft» sarroise qui avait été érigé en 1865 par Julius Carl Raschdorff, en siège du «Landtag» sarrois ainsi que la construction par André Sive du mémorial de la «Nouvelle Brême» à la périphérie sud de Sarrebruck.
Le bâtiment le plus prestigieux de cette époque s’avère être sans aucun doute celui abritant autrefois l’ambassade française qui fut érigé de 1951 à 1954 d’après les plans de Georges-Henri Pingusson en collaboration aux architectes sarrois Bernhard Schultheis et Hans Bert Baur. Dans ce bâtiment situé au 60 de la «Hohenzollernstraße» se tient aujourd’hui le ministère de la culture.
Déjà à cette époque les plans des architectes français soulevèrent maintes controverses. C’est ainsi qu’en 1959 dans un tour d’horizon les autorités municipales constataient: «Les amples dévastations dues à la guerre et plus précisément celles affectant les zones industrielles importantes constituent un défi que les plans de reconstruction doivent relever. Au départ ceux-ci furent élaborés par une équipe d’urbanistes français engagés par le gouvernement militaire responsable du «Land» de Sarre. Ils conçurent un plan général pour le «Land» et des plans subsidiaires pour différentes villes qui dénotent tous une grande largeur d’esprit. Quant à la concrétisation de ces plans relevant plutôt de l’utopie, elle aurait porté de graves atteintes au droit privé et engendré des coûts exorbitants». (Staatliches Bauen im Saarland, 1959, S. XV) Par contre, on pouvait lire sous la plume de l’architecte Hans P. Koellmann que la reconstruction entreprise par les urbanistes en Sarre «n’aurait pu atteindre son plein épanouissement en raison de la pusillanimité méfiante du pouvoir exécutif». (Koellmann 1959, S. 157)
Jusqu’à présent une recherche fondamentale sur ce sujet fait défaut.
Oranna Dimmig
Traduction: Anne-Marie Werner
Bibliographie sélective
Gabriel Guévrékian
Pierre Lefèvre
Édouard Menkès
Georges-Henri Pingusson
Jean Prouvé
Marcel Roux
André Sive
Rédaction: Claudia Maas, Oranne Dimmig
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