Georges-Henri Pingusson figurait au même titre que Marcel Roux, André Sive, Édouard Menkès, Jean Mouginot et Pierre Lefèvre parmi l’équipe des urbanistes français qui au lendemain de la Seconde Guerre mondiale avaient reçu la mission de reconstruire les villes sarroises. C’est à Pingusson que le gouverneur militaire Gilbert Grandval confia la direction des travaux de reconstruction de la ville de Sarrebruck.
Dans leurs projets réalisés avant la Seconde Guerre mondiale, ces urbanistes-architectes s’alignaient sur les courants d’architecture moderne en France.
Né en 1894, Pingusson était de quelques années le cadet de Le Corbusier avec lequel il entretenait des liens d’amitié. Après une formation d’ingénieur en électricité, il suivit à partir de 1920 les cours d’architecture dans l’atelier Gustave Umbdenstock à l’École des Beaux-Arts de Paris et devint architecte indépendant en 1925. À partir de cette date il joua un rôle important dans l’architecture française. Il se fit l’apôtre du fonctionnalisme prôné par l’architecture moderne, défendit clarté et rigueur au niveau formel et utilisa des matériaux inusités lui ouvrant de nouveaux horizons dans le domaine de la préfabrication et de la production standardisée. Toutefois, il reconnut très tôt les problèmes soulevés par ce genre de construction et porta un œil critique envers lui. Il refusait délibérément une architecture répondant exclusivement à des besoins commerciaux. Dans la mesure où il n’hésita pas à reprendre des éléments régionalistes dans ses œuvres, celles-ci attestent un cachet poétique et familier. Il ne revendiquait pas de doctrine stricte. L’essentiel pour lui figurait dans la forme esthétique qu’il concevait comme le résultat d’un acte créateur harmonisant concept et qualité matérielle. Il considérait l’architecture comme une discipline ne devant pas se restreindre au concept et à sa réalisation, mais inclure la population afin de pouvoir tenir compte des composantes économiques et des besoins humains. Cet aspect sociologique ressort dans la totalité de son œuvre architectural.
Pingusson débuta sa carrière par la construction d’un ensemble de villas sur la Côte d’Azur et la côte basque. Dans les œuvres de cette période il opère le passage d’une architecture empreinte de régionalismes à un vocabulaire formel typique du style international. Érigé à Saint-Tropez de 1929 à 1932, l’hôtel Latitude 43, qui évoque la forme du paquebot, a fait son entrée dans l’histoire de l’architecture et compte parmi les icônes de l’architecture moderne en France. Situé au cœur d’une pinède, ce complexe architectural comprend une centaine de chambres, un restaurant, un dancing, un casino, un ensemble de boutiques mais aussi des terrains de sport où furent aménagés piscines et courts de tennis. Nul doute que les horizontales des mouvements linéaires convergeant vers une extrémité arrondie, les verticales de l’escalier et de la cheminée ainsi que les toits-terrasses verdoyants, remémorent l’image du bateau. La passion de Pingusson pour les découvertes techniques, avions et navires trouve expression dans son architecture et sur ce point il réenchaîne sur Le Corbusier. De plus les coursives qui desservent les pièces sont comparables à celles d’un bateau. Une construction subtile rabaissant leur hauteur d’un demi-étage permet de rendre dans chaque pièce le jour disponible sur deux côtés. Au nord les pièces offrent un vaste panorama sur le golfe de Saint-Tropez et au sud sur l’arrière-pays. En raison de la souplesse et de l’élégance des lignes, de l’équilibre rythmique des différentes parties regroupées en un vaste ensemble mais aussi des pilotis, la rigueur géométrique d’hôtel 43 Latitude dénote une légèreté aérienne. En outre de par sa matérialité ressortant dans son corps en béton recouvert d’un matériau régional, la brique, ce complexe architectural atteste une grande force d’expression.
Dans le cadre de l’exposition universelle qui se déroula à Paris en 1937, Pingusson réalisa en collaboration avec Philippe Jourdan et André Louis le pavillon de l’UAM à l’aide d’éléments métalliques préfabriqués et ce dans un laps de temps de dix semaines. Simultanément il édifia avec son ami Robert Mallet-Stevens le pavillon de l’électricité et de la lumière. Légèrement incurvée la façade de ce bâtiment s’assimile à un écran géant.
De l’été 1945 à janvier 1950 Pingusson qui en tant qu’urbaniste avait intégré le «Wiederaufbauamt» fut chargé de la reconstruction de Sarrebruck. C’est le premier et jusqu’à présent le seul urbaniste à avoir élaboré un plan d’ensemble pour la ville. Après avoir procédé à une étude détaillée de l’espace urbain prenant en ligne de compte la topographie, le climat, la démographie, l’hygiène, la circulation et l’économie, Pingusson se lança dans la conception du plan. Il analysa l’histoire, l’habitat, la répartition des fonctions urbaines, évalua les statistiques relatives aux mouvements de population, fit un constat des destructions mais aussi des bâtiments historiques qui furent épargnés par la guerre. Pour élaborer son plan, il s’inspira du modèle d’urbanisme prôné par la Charte d’Athènes publiée en 1933. Celle-ci encourageait à diviser les villes en diverses zones fonctionnelles réservées respectivement à l’industrie, au travail, à l’habitat, à la circulation, à la culture et aux loisirs. À cette époque on repérait dans ce genre de division un moyen de palier une hygiène de vie malsaine. Dans ce contexte l’urbaniste souhaitait « rendre la vie dans cette ville saine et pratique et par conséquent digne d‘être vécue » (Bau-Zeitschrift, P. 38). Pingusson entendait évincer les erreurs du passé et imposer ses idées face aux structures existantes mais en même temps respecter les vestiges de l’époque baroque, à savoir le centre-ville, le château et l’église Saint Louis.
En ce qui concerne la circulation il prévoyait un système d’artères ne se croisant jamais au même niveau. Des réseaux particuliers étaient réservés aux piétons, automobiles et poids lourds. En plus deux voies circulaires reprenant en partie d’anciens trajets devaient constituer une ceinture périphérique permettant d’affronter les perturbations du trafic. La circulation de transit devait s’effectuer par un grand axe nord-sud coupé par un axe transversal est-ouest. Une voie passant par le «Deutsch-Mühlental» était prévue pour le trafic à grande distance. Pingusson souhaitait faire disparaître le tramway du centre-ville et le remplacer par un chemin de fer souterrain. Par ailleurs, il envisageait de rectifier le cours de la Sarre et d’aménager un port industriel entre Burbach et Luisental et un port charbonnier entre Völklingen et Fenne relié directement à la voie ferrée. Sur l’ «Hafeninsel» il prévoyait une grande place publique constituant le nouveau centre-ville. En bordure de la Sarre devait se tenir, aux environs de la gare, le siège du gouvernement et des administrations, des bâtiments représentatifs ainsi que des commerces. Au sud-est aux limites du vieux Sarrebruck devait être localisé le quartier culturel et à proximité du quartier du gouvernement une zone mixte d’habitation et d’affaires. Enfin à l’ouest il prévoyait un parc d’expositions industrielles et de foires internationales ainsi que des terrains de sport qui, attirant les foules, devaient être bien desservis. Le caractère spécifique de chaque quartier était mis en valeur par des bâtiments publics. Le conservatoire, l’opéra, la bibliothèque, l’université et l’école des arts et métiers étaient répartis à proximité de la vieille ville, la chambre de commerce et celle des métiers, la direction de la poste et celle des chemins de fer ainsi que les assurances devaient s’élever dans un secteur situé entre la Sarre et la gare. Quant aux hôpitaux, ils étaient concentrés sur les coteaux ensoleillés du Triller, Reppertsberg, Winterberg et Kieselhumes. Pingusson envisageait d’aménager le quartier des Bruchwiesen en zone d’habitation comprenant des bâtiments à plusieurs étages. Leur orientation rigoureuse nord-sud permettait aux appartements de profiter pleinement de la lumière du jour pendant toute la journée. Pingusson octroyait aux appartements collectifs situés dans des immeubles à plusieurs étages, entourés d’espaces verts, un rôle éducatif et se proposait comme objectif: «la création non seulement de logis sains et clairs, économes et efficaces, mais même de logis éloquents par la vertu éducative et animatrice desquels nous espérons semer l’amitié dans les générations futures» (La Sarre, p. 56).
Sur le Kieselhumes Pingusson prévoyait la création d’ «une colonie d’habitation de grande classe en ordre libre» par conséquent d’un quartier résidentiel et sur les flancs sud également de zones d’habitation. De même qu’il maintint les quartiers épargnés du Rastpfuhl, Rodenhof, Am Homburg et Rotenbühl, il sauvegarda les vieux quartiers tels que le Vieux-Sarrebruck et Saint Jean. Pingusson affirmait: «Créer une ville rationnelle, où la vie soit pratique et efficiente, ne comble pas toutes les exigences de l’urbanisme qui veut aussi une belle ville, belle par l’expression et le caractère» (La Sarre, p. 56). Au nombre des éléments de beauté naturelle figuraient: «La Sarre elle-même dont les rives sur de longs trajets inexploitées seront utilisées pour la création d’une grande avenue à l’échelle de la ville nouvelle, les flancs boisés, le rocher du vieux château, les éminences du Halberg et du Kaninchenberg, les éléments de beauté architecturale, l’église et la place Saint Louis ainsi que la place du marché Saint Jean. D’un cachet baroque rêveur, cette dernière ne saurait être endommagée par le bruit d’un axe routier» (Bau-Zeitschrift, P. 50). Il transforma le jardin du château en parc s’étendant au-delà de la Zähringerstraße. À la Ludwigsplatz, il réaménagea entre le palais Lüder et le palais Freytal l’ancienne promenade nord de Stengel qui offrait une vue sur le Ludwigsberg au-delà de la gare. À hauteur de la Sulzbachstraße, une nouvelle place devait raccorder la Bahnhofstraße aux rives de la Sarre. Les urbanistes français et en particulier Pingusson se considéraient comme «les porteurs d’un message, celui de l’urbanisme français dont les grands tracés clairs, logiques et volontaires doivent se superposer au canevas structural de la ville et à son héritage historique». (La Sarre, p. 40) Dans les zones épargnées par la guerre, Pingusson allia ce genre de plan rationnel aux structures en place. Par son plan d’urbanisme, il entendait faire de la ville moyenne de Sarrebruck une métropole. La réalisation de ce plan devait s’étendre sur vingt années. Le 14 septembre 1946 Pingusson soumit ses plans de reconstruction au conseil municipal et à plusieurs reprises il en fit des sujets de débats publics, car il était convaincu que la réalisation d’un plan était vouée à l’échec s’il n’était pas approuvé par la population. «C’est pourquoi l’urbaniste qui a conçu une cité nouvelle, une ville satellite ou un grand ensemble, ne doit pas être seulement utilisé comme un serviteur occasionnel qui ayant fait son plan, est éloigné de sa réalisation, détaché de la vie de son œuvre. Il devrait avec l’architecte qui la prolonge, écouter les habitants, partager leur vie et leurs ambitions, se faire l’associé et l’auxiliaire de leur accomplissement, on ne peut sans lui maintenir sa vision initiale garder l’esprit et l’enthousiasme de sa création.» (o. D. 46 IFA 23/793) Le 6 janvier 1947 le conseil municipal recommandait de prendre ce plan comme base pour la reconstruction de Sarrebruck et une semaine après, le 13 janvier 1947, le plan fut approuvé. «Un nouveau Sarrebruck va voir le jour» pouvait-on lire dans le quotidien local (Saarbrücker Zeitung du 14/1/47). Toutefois pour de multiples raisons ce plan a été voué à l’échec bien que Pingusson s’efforçât à plusieurs reprises de le réadapter et de le diversifier en fonction des différents secteurs. Les plans de l’urbaniste français étaient concurrencés par ceux d’un urbaniste allemand appartenant au «Stadtplanungsamt». En particulier le «Stadtbaurat» Karl Cartal s’avérait être déjà en mesure de proposer un plan d’urbanisme alors que Pingusson commençait juste à concevoir le sien. Cartal ne ménagea pas ses critiques: «Les grands axes regroupant les voies de circulation conjointement à l’intention de construire des immeubles élevés vont complètement perturber l’image de la ville» (STA Sb, G 60 Nr. 72. Signes distinctifs entre le plan d’urbanisme proposé par le régime militaire français et celui proposé par la «Stadtbauverwaltung»).
Une «coopération fructueuse» entre Pingusson et l’urbaniste allemand tel que l’aurait souhaité Grandval n’a jamais pu s’instaurer. Pour le secteur amplement détruit aux environs de la gare de Sarrebruck, Pingusson avait conçu un plan de reconstruction et du trafic qui modifiait en profondeur les structures préexistantes et prônait un système de grandes artères. (Écrit de Pingusson du 5/6/1948 «La place devant la gare»). Il souhaitait certes sauvegarder la direction des mines, le bureau du journal local, les bâtiments de la poste et de la gare mais rejeter les plans déjà établis avant la guerre qui prévoyaient l’aménagement d’un tunnel. L’espace occupé par la gare devait être beaucoup plus vaste et comporter une séparation rigoureuse entre le trafic grande ligne, le trafic local et les endroits réservés aux piétons. Cet ainsi que ce secteur aurait dû se composer de trois niveaux: une place pour l’expédition et la réception, un parking pour les autos et des galeries superposées pour les piétons reliées entre elles par des escaliers et des passages. La Direction des mines fit l’éloge de l’ampleur ressortant des plans de Pingusson mais critiqua la trop grande attention que l’architecte prêtait à la circulation des voitures et à l’ouverture de la place. Pour des raisons économiques, elle rejeta le plan et prit même son contrepied en avançant ses propres idées en la matière. Jusqu’à la fin de l’année 1949, Pingusson défendit avec ardeur ses plans puis il se retira de Sarrebruck. Dans sa lettre de démission adressée à Grandval, il mentionnait: «La réunion d’hier 24 octobre … a eu cependant le résultat de montrer à l’évidence l’impossibilité de tout plan d’urbanisme en Sarre… Au cours de cette séance qui groupait toutes les têtes pensantes de la Sarre, ou mieux la plus grande partie des personnalités responsables de l’avenir du pays sarrois, pas une seule voix sauf les nôtres ne s’est élevée pour témoigner un intérêt réel apporté au soutien du projet d’urbanisme de la ville de Sarrebruck que je soutiens depuis quatre ans. Deux ministres pourtant étaient présents et ont montré par leurs attitudes leurs propres pensées. Le Ministre Président parlant en tant que Ministre de la Reconstruction, tout en admettant la validité du plan, a sérieusement proposé de laisser construire, contrairement au plan, avec le projet de démolir plus tard ce qui avait été mal bâti lorsque l’économie florissante le permettrait… Comment dans ces conditions faire aboutir des vues d’urbanisme que les autorités chargées de les promouvoir sont les premières à combattre tout en les déclarant techniquement bonnes? Comme vous avez reconnu que le Haut-Commissariat n’était plus intéressé directement à ces problèmes, ne pouvant plus obtenir de contact avec les chefs de mon service ni participer aux conversations d’où sortent les décisions, je suis obligé de renoncer à poursuivre une tâche épuisante et impossible. Je vous demande Monsieur le Haut-Commissaire de bien vouloir me rendre ma liberté.» (Brouillon de la lettre adressée à Grandval du 25/10/1949, 46 IFA 26/253)
Sur l’insistance de Grandval il reporta sa démission au 31 décembre 1949 et trouvait surprenant «qu’un chef d’État président du Conseil, Ministre de la Reconstruction n’ait jamais eu le souci de discuter avec le responsable le plan d’urbanisme de la région ou de sa capitale et lorsque cette occasion de mise au point lui était proposée qu’elle ait été écartée sans motif. Il est non moins curieux, que sans un échange de vues avec le même responsable un ordre soit donné à son insu d’abandonner une des pièces maîtresses du plan sans qu’une nécessité absolue le justifie». Pingusson évoquait ici le quartier du Vieux-Sarrebruck autour de l’Eisenbahnstraße. «Le quartier étant déblayé du fait des très fortes destructions pouvait recevoir de très heureuses transformations. Renoncer à utiliser cette possibilité, laisser chaque jour l’occasion s’éloigner est une décision à laquelle je ne puis me soumettre. Il ne me reste donc qu’ à me démettre. Je reste cependant persuadé que le plan de Sarrebruck dans son état actuel serait réalisable, si des moyens législatifs et financiers même les plus modestes ou imparfaits étaient mis en œuvre avec la volonté de le faire aboutir; je suis également convaincu que les grandes lignes du projet subsisteront quoiqu’il advienne, mais le flottement dans la direction de la Reconstruction a laissé s’enfler la vague d’hostilité à un tel point qu’il n’est plus en mon pouvoir de la dominer seul» (Lettre à Grandval du 24/11/1949, 46 IFA 26/253). Le Ministre-Président prolongea encore une fois son contrat jusqu’en avril 1950. Mais entre-temps Pingusson avait déjà regagné Paris.
Ceci ne lui empêcha pas d’édifier, à Sarrebruck entre 1950 et 1954, l’ambassade de France occupée aujourd’hui par le ministère de la culture. Il s’agissait d’une commande que lui avait passé Grandval. Pingusson choisit un site surélevé, le croisement de deux axes routiers et conçut le bâtiment comme motif de clôture de la place centrale située sur l’«Hafeninsel». L’ambassade est le seul bâtiment qui ait été réalisé d’après les plans de Pingusson prévoyant par ailleurs une rangée de maisons en bordure de la Sarre. Depuis 1948 il avait réalisé les esquisses pour la Chambre de commerce et de l’industrie ainsi que pour d’autres bâtiments administratifs composés de quatre blocs rectangulaires montés sur pilotis et rythmés par des cages d’escaliers-portiques. Dans la construction de l’ambassade de France, Pingusson croyait y repérer la première étape dans la réalisation de son plan d’urbanisme. Simultanément il dota l’ambassade d’une valeur symbolique dans la mesure où elle devait évoquer la paix entre les peuples. De surcroît, il accepta que ses architectes associés Hans Bert Baur et Bernhard Schultheis ne respectent pas rigoureusement le plan lors de sa réalisation. La version originale dans laquelle ressortait un fort contraste entre l’ambassade proprement dite, construction basse, et l’immeuble de l’administration, construction élevée, présentait «plusieurs corps de bâtiment transparents en suspens, recueillis dans un rythme plastique et se fondant les uns dans les autres» (Haufe-Wadle, p. 9). Une fenêtre-bandeau aurait réuni le corps-de-logis et l’aile de l’ambassade en une longue paroi vitrée. Comme ce fut le cas dans Hôtel 43 latitude, les coursives ne devaient permettre qu’un accès unilatéral aux différentes pièces. Un double éclairage des bureaux par la lumière naturelle auraient pu offrir des vues panoramiques sur la Sarre. Ce qui en est resté, c’est l’écart fonctionnel et formel entre les diverses parties: d’une part une longue barre orientée nord-sud avec ouvertures d’un seul côté et des bureaux cellulaires, de l’autre une cour d’honneur encadrée par les salles publiques et privées de l’ambassade. «L’isolement des bureaux de leur environnement, la Sarre, compte parmi les compromis auxquels Pingusson dût consentir pendant la réalisation de son plan.» (Haufe-Wadle, p. 10)
Toutefois à partir des moyens techniques que lui offrait l’architecture moderne à savoir: les pilotis, le toit-terrasse, le squelette en béton et l’interpénétration entre espace intérieur et extérieur, Pingussson a su créer un complexe architectural à la fois harmonieux dans son mode d’ordonnance et élégant dans lequel l’immeuble d’administration constituait le point fort au niveau urbanistique. Ce mode de composition rationnel fut enrichi d’éléments anecdotiques. Pingusson recouvrit de coquillard l’extrémité de l’aile réservée à l’administration et encadra par là-même le squelette du bâtiment. L’escalier-portique doté d’un socle en pierres de taille ancrait le bâtiment dans le sol alors que les pilotis le laissaient apparemment en suspens au-dessus du sol. De fines colonnes s’élevaient sur deux étages devant la paroi vitrée de l’aile de l’ambassade avant d’être recueillies dans un genre d’attique. Ce complexe architectural évoquait la composition classique de la façade. Une large cage d’escalier représentative ouverte sur le parc par des parois vitrées conduisait aux enfilades de salons et salles à manger. Un escalier externe assurait la liaison entre espace extérieur et espace intérieur. Le mobilier aujourd’hui disparu des salles de réception fut conçu par le designer Jacques Dumand. Les prestigieuses tapisseries murales de François Arnal ornent jusqu’à ce jour les côtés est et ouest de la salle de réception. Les magnifiques décors muraux en marbre et placages de laque du bureau de l’ambassadeur sont en grande partie conservés de même que le mobilier. Pour le casino situé dans l’immeuble d’administration, l’artiste Boris Kleint avait créé des panneaux de grand format divisant l’espace. Eux-aussi ont disparu de même que le vitrail du hall d’entrée exécuté par Karl-Heinz Grünewald. En 1955 lors de la cérémonie de remise du Grand prix d’Architecture, Pingusson évoqua l’ambassade en ces termes: «Ce que j’ai recherché dans le plan de l’ambassade, cette pierre française laissée à la Sarre, c’était le sentiment de cet ordre tranquille, de force sans contrainte qui apportait notre présence par le rythme des façades, comme par la disposition du plan, la juste répartitions des fonctions depuis la ruche au travail que constitue le blocs des bureaux relié au poste de commandement du bureau de l’Ambassadeur jusqu’à la résidence privée, en laissant à la position dominante la représentation et l’accueil de notre pays» (Texier, p. 222).
C’est seulement grâce à l’ambassade française abritant aujourd’hui le ministère de la culture que Pingusson a pu se faire le représentant de la «Grande Nation», et ce après avoir quitté la capitale sarroise. En tant que membre du jury du concours «Sarrebruck, capitale industrielle», Pingusson regagna en 1955 encore une fois la Sarre. Mais c’est dans la région lorraine limitrophe, qu’il devait désormais exercer sa profession d’urbaniste-architecte pendant les décades suivantes. Nommé «architecte en chef de la reconstruction de la Moselle et de la Lorraine» Pingusson reçut de 1949 à 1961 la mission de reconstruire les villes de Lorraine. Il fut en particulier chargé de la réorganisation urbanistique de Waldwisse, Roussy et Briey-en-forêt. Le petite village de Waldwisse, situé à proximité de Thionville, avait été ravagé par la guerre mais gardait un charme rural en même temps qu’il servait de lieu de domicile à beaucoup d’ouvriers. C’est ici que Pingusson put mettre en pratique sa théorie urbanistique du zonage fonctionnaliste. Au cœur du village il groupa autour d’une place centrale les bâtiments publics, les commerces et logements des ouvriers. Quant aux fermes il les répartit à la périphérie et justifia sa démarche en invoquant les problèmes d’hygiène et de sécurité pour les hommes et les animaux. C’est ainsi qu’à l’inverse du type traditionnel de la ferme lorraine, le logement des hommes et des animaux était indépendant et la ferme reliée aux champs et aux jardins. Au cœur du village, les toits monopan dotaient les bâtiments à deux niveaux d’une profonde unité. Marquées par leurs murs de pignon fermés, les façades au style épuré, animé par un rythme subtil, donnaient au village une forte expression. En 1952 Pingusson conçut le plan d’urbanisme pour Briey-en Forêt et soumit à la municipalité le projet d’une ville verte tout à fait autre. Selon lui, le cœur du village ne permettait plus de répondre aux besoins d’expansion. De plus, il réussit à convaincre Le Corbusier de créer une unité d’habitation. Cette dernière fut réalisée de même que les bâtiments prévus par Pingusson tels qu’un groupe scolaire et une zone d’habitations individuelles. Quant à l’église, les terrains de sport, le cinéma et d’autres établissements ils ne dépassèrent pas le stade de l’esquisse. À partir de 1955, Pingusson réalisa des maisons individuelles disposées par bandes. Celles-ci comprenaient deux étages, des garages au sous-sol et des jardins devant et derrière chaque maison. Pingusson conçut quatre types différents de maisons à partir d’éléments en béton préfabriqués. Pour ce genre de construction, il pouvait recourir aux expériences qu’il avait faites pendant la guerre avec l’emploi d’éléments préfabriqués. Alors que les maisons d’habitation étaient ancrées dans le sol, le groupe scolaire, lui, fut construit sur pilotis, et s’alignait par là-même sur le vocabulaire formel de l’architecture moderne. Ici également Pingusson reprit son principe d’accès unilatéral aux différents espaces. Les coursives furent rabaissées, des marches d’escalier conduisaient aux salles de classe éclairées par la lumière naturelle de deux côtés. La vue s’offrant par la fenêtre assurait un lien à la nature environnante.
Si à Briey Pingusson éleva un petit groupe scolaire, à Sarreguemines par contre il construisit, à l’emplacement d’une caserne allemande désaffectée, un complexe comprenant lycées techniques pour 1 500 élèves avec internat et des logements pour les enseignants. Les différences dans les façades reflétaient les fonctions différentes des espaces intérieurs. Ceux-ci entouraient une grande halle regroupant les divers ateliers techniques. Bien que ce complexe fût déjà conçu en 1955, il ne sera inauguré qu’en 1978. Commencée en 1955, la construction du Centre de Secours et d’Incendie de Metz s’étendit sur le même laps de temps. Pourtant des éléments majeurs du projet tels que la tour de séchage et l’immeuble de 52 logements pour les pompiers furent déjà inaugurés en 1965. Situés à proximité de la Porte des Allemands, ces deux bâtiments imposants renvoient l’image d’une architecture rationnelle, dépourvue d’ornements. Dans les églises que Pingusson éleva en Lorraine, il fit une synthèse entre les concepts de l’architecture moderne, les traditions et données locales, la spiritualité et la foi. Pendant les années 1950 Pingusson s’était déjà intéressé à la construction d’églises. Dans son essai «Construire une église», paru en 1938 dans la revue «L’art sacré» (p. 315 s.), il publia les plans restés au stade de croquis de l’église abbatiale d’Arcueil. Ce ne fut qu’après la guerre qu’il put concrétiser un plan analogue pour l’église de Saint-Martin-Évêque à Corny. Cette église en béton présentait un plan carré surmonté d’une coupole abritant la partie centrale où se situait l’autel et illustrait l’intérêt que Pingusson portait aux formes rigoureuses. Un long mur en grès protégeait l’édifice du côté de la rue en bordure de laquelle s’élevait un clocher détaché de l’église qui appellait les fidèles à la prière. À Fleury Pingusson édifia la nouvelle église sur les fondations de l’ancienne. Le plan rectangulaire attestait les proportions d’une église de campagne. En avant de la nef centrale le narthex aux voûtes surbaissées offrait une vue sur une chapelle dédiée à la Vierge Marie. Par des jeux raffinés de lumière Pingusson donnait l’impression qu’il n’existait aucun lien entre le sol et les parois. Cette impression spatiale unique devait traduire la grandeur et le calme propres à tout édifice sacré. Dans l’église de Borny, Pingusson allia le plan traditionnel en forme de croix latine à l’église-halle. La nef apparaissait divisée en deux parties. Alors que les murs fermés de la zone dévolue aux fidèles les plongeaient dans les ténèbres, le sanctuaire, lui, était illuminé par des vitraux, en sorte que la zone réservée au culte puisse baigner dans des couleurs chatoyantes. Les vitraux de facture abstraite furent l’œuvre de Jacques Le Chevallier. Pingusson qualifiait cette église aux murs en béton recouverts d’un enduit blanc d’«église en robe de mariée».
En 1960 Pingusson réalisa à Boust une église devant abriter 600 fidèles. Bordant un long mur qui mettait en valeur le clocher de 18 m de hauteur détaché de l’église, un chemin menait à l’entrée de cette église de forme circulaire. La coupole conique, à nervures concentriques, surmontait l’autel central qui, surélevé d’un mètre, occupait le champ de vision des fidèles. C’est ainsi que ceux-ci pouvaient parfaitement suivre le déroulement du culte et y participer. Derrière une ceinture de colonnes s’ouvrait le déambulatoire, alors que les bancs, disposés en plusieurs rangées entouraient l’autel. La lumière naturelle était filtrée par un vitrail circulaire aménagé entre la coupole et la couverture du déambulatoire. De même derrière l’autel, le vitrail à facture abstraite de Pierre Bozzolini, qui attestait une longueur de 18 m et une largeur de 2 m, filtrait la lumière du jour, empêchait les fidèles d’être aveuglés et faisait baigner l’espace dans des couleurs retenues. Dans cette commune marquée par des structures rurales, ancrée dans les traditions locales, Pingusson construisit un édifice sacré simple et modeste et employa comme matériau de construction les pierres de la région. Des peintures et des sculptures furent intégrées à cette architecture sobre. Le socle de la chaire fut orné de fresques exécutées par Lambert Rucki. Cet artiste avait créé également la grande statue placée dans l’entrée et le crucifix en bronze surmontant l’autel. À souligner que des architectes allemands avaient déjà développé des formes architecturales analogues dans l’entre-deux-guerres. Pingusson les admiraient beaucoup et pouvait reconnaître dans son église un symbole de paix. «C’est sous le signe d’une unité orienté vers la paix des peuples que s’est réalisée la très modeste église de Boust». (Georges Henri Pingusson, L’église De Boust à Boust-Usselkirch, Metz o. J.). Devant l’église, Pingusson érigea un mémorial en hommage aux soldats allemands et français morts pendant les deux guerres.
Daté de 1961/1962 le «Monument aux Martyrs de la Déportation» à Paris permit à Pingusson de prendre à nouveau position vis-à-vis de l’histoire. Sur l’île de la Cité, il excava une crypte. Des passages étroits ainsi que des escaliers raides devaient conduire à des espaces sans fenêtres élargis par des niches triangulaires dont chacune d’elles remémorait un des lieux de déportation. Le dernier projet qu’il réalisa avant sa mort fut la reconstruction de la ville détruite de Grillon dans le Vaucluse. Faisant preuve d’une grande sensibilité et de beaucoup de précaution, Pingusson conserva les formes architecturales, certains détails et matériaux encore disponibles.
Pingusson était membre de l’U.A.M. (Union des Artistes Modernes) depuis sa fondation en 1929 jusqu’à sa dissolution en 1958. Il en a été temporairement le président et faisait partie du comité de rédaction de la revue «L’architecture d’aujourd’hui» dans laquelle il publia lui-même différents essais. Il compléta son œuvre architectural par des réflexions théoriques. Ces dernières ne furent jamais recueillies dans une publication. Ce sont certainement sa rigueur et sa modestie exemplaire, dénotées déjà par ses contemporains, qui freinèrent une telle démarche et l’empêchèrent de passer la commande d’un catalogue raisonné de son œuvre à un éditeur. Depuis 1949 il était professeur à l’École des Beaux-Arts de Paris et a formé et marqué des générations d’étudiants en architecture. En 1955, le Cercle d’Études Architecturales lui remit le Grand Prix d’Architecture, décerné en général aux représentants des théories architecturales contemporaines. D’autres hommages suivirent. À Sarrebruck il avait tenté mais sans succès d’obtenir un poste de Professeur à la «Kunsthochschule» (École Supérieure des Beaux-Arts) tel que le prouve une lettre adressée à Gowa le 7/5/1947. Quant à l’ «Architektenkammer Saar» (Chambre des Architectes de la Sarre), elle, au moins, lui décerna en 1950 le titre de membre d’honneur.
Marlen Dittmann, Traduction: Anne-Marie Werner
(liste sélective)
Rédaction: Sandra Kraemer, Claudia Maas, Oranne Dimmig
Privatpersonen | Schüler*innen, Studierende | Praxen, Kanzleien, gewerbliche Einrichtungen und Firmen | |
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